Perspectives de l’enseignement professionnel porteur d’impact pour les jeunes de l’Éthiopie non scolarisés

Par: Opiyo Makoude Posted: 14 mars 2024
Blog image
Source: GPE/Translieu

Le retour à l’école des enfants et des jeunes non scolarisés est l’un des principaux défis auxquels sont confrontés de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. C’est dans cette région que l’on trouve le plus grand nombre d’enfants et de jeunes non scolarisés. Si ce défi peut être attribué à de multiples facteurs allant de la qualité de l’enseignement et des infrastructures scolaires limitées à la pauvreté et aux valeurs culturelles, l’une des principales contraintes est l’absence d’autres parcours éducatifs pour des enfants et des jeunes qui ne souhaitent pas suivre le parcours scolaire traditionnel de l’enseignement en milieu scolaire. En conséquence, de nombreux enfants et jeunes non scolarisés choisissent de ne pas s’inscrire du tout à l’école ou de la quitter après avoir suivi des programmes accélérés ou de rattrapage, parce que ceux-ci sont traditionnellement conçus pour faire revenir les élèves dans un parcours scolaire traditionnel.  

Le projet « Retour à l’école » (« Back2School ») du programme Partage de connaissances et d’innovations (KIX) du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) a tenté de s’attaquer à cet enjeu en réalisant un projet pilote de mise à l’essai d’un parcours professionnel différent pour les jeunes et les jeunes non scolarisés en Éthiopie, dans le cadre d’une recherche plus large sur l’amélioration de l’accès à l’éducation pour les filles non scolarisées dans les zones rurales d’Éthiopie, du Kenya et de la Tanzanie. Le projet pilote a mis à l’essai diverses méthodes pour améliorer leur inscription, leur réintégration, leur maintien et leur transition à l’école.  

En Éthiopie, le projet pilote de mise à l’essai d’un parcours de formation professionnelle différent pour 127 jeunes âgés de 13 à 17 ans était constitué de quatre cohortes dans deux régions du pays. Les jeunes participant à la formation professionnelle ont suivi quatre mois d’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, à raison de séances de deux heures par semaine, avant de se voir proposer une formation dans des centres d’enseignement et de formation techniques et professionnels (EFTP) pendant quatre mois supplémentaires. Les cours d’alphabétisation et de calcul étaient proposés dans des écoles primaires publiques normales, par du personnel enseignant employé par le gouvernement, mais les jeunes suivaient un programme accéléré distinct destiné aux élèves suivant un enseignement accéléré. Les compétences professionnelles enseignées étaient de base : réparation de motos, couture et production alimentaire. Les résultats du projet pilote montrent qu’il est possible de mettre à l’échelle cette approche, mais qu’elle doit être affinée en termes de contenu, d’exécution et de partenariats pour atteindre à la fois une mise à l’échelle et des répercussions optimales. 

Résultats du projet pilote 

Le projet pilote a révélé que la formation professionnelle constitue une voie importante pour les jeunes qui ne souhaitent généralement pas suivre l’intégralité de l’enseignement formel, du primaire au secondaire, puis à l’université ou encore dans un établissement d’enseignement supérieur. Ces jeunes, souvent poussés par la pauvreté, assument des rôles générateurs de revenus afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs frères et sœurs. Le projet pilote a permis de valider le concept : il est possible de proposer une éducation de base et un parcours de formation professionnelle à des jeunes qui n’ont jamais été scolarisés. En Éthiopie par exemple, sur les 132 élèves inscrits (55 garçons, 77 filles), 106 élèves (41 garçons, 65 filles) ont terminé leur formation dans différents domaines. 

Lors des visites sur le terrain, les réunions avec les jeunes qui avaient été formés ont révélé que ces personnes trouvaient l’apprentissage utile et les compétences acquises dans le cadre du programme pertinentes. Certains de ces jeunes doivent s’occuper de leurs frères et sœurs après avoir perdu leurs parents. Certains ont quitté leur foyer pour commencer leur propre vie. Rester à l’école n’est pas une option, mais il est difficile de trouver des possibilités travail générateur de revenus sans compétences professionnelles de base. L’une des jeunes filles ayant suivi la formation a trouvé un emploi dans un restaurant local et utilise déjà ses compétences pour préparer des collations et des repas sur son lieu de travail.  

Les discussions avec les personnes représentantes du gouvernement éthiopien ont montré qu’elles étaient désireuses de mettre à l’échelle le parcours de formation professionnelle, même si elles ont souligné que le modèle devait encore être affiné. Leurs collègues du Kenya et de Tanzanie se sont fait l’écho de ces mêmes sentiments, indiquant que le modèle était prometteur et pouvait être repris, moyennant certaines modifications, pour l’adapter à leur propre contexte. À l’échelle des districts en Éthiopie, un engagement semblable a été exprimé pour adapter les résultats et les leçons tirées du projet pilote. Par exemple, des personnes représentantes du gouvernement ont tenu des réunions avec l’Association de développement de Wolaitta pour discuter de la manière de créer des voies d’accès à l’emploi pour les jeunes qui ont reçu une formation professionnelle de courte durée dans le cadre du projet « Retour à l’école ». L’une des organisations partenaires qui a participé au projet pilote, le Luminos Fund, adopte également une filière professionnelle dans son programme d’apprentissage accéléré pour les jeunes non scolarisés. 

Leçons tirées du projet pilote 

L’idée de reproduire le projet « Retour à l’école » suscite de l’intérêt, mais il reste encore du travail à faire pour affiner le modèle. Les discussions qui ont eu lieu lors d’un atelier régional ont mis en évidence la nécessité d’allonger la durée de l’enseignement, d’obtenir des conseils de la part des établissements de formation professionnelle et de s’harmoniser avec les réalités du marché de l’emploi local. Il est également nécessaire de planifier et de soutenir l’accès aux services financiers. En outre, une bonne compréhension du marché du travail est nécessaire pour les personnes à la recherche d’un emploi et une bonne connaissance des possibilités du marché pour les jeunes personnes diplômées de la formation professionnelle. Le soutien à l’accès aux services et aux marchés financiers est donc un des éléments clés de la conception et de la mise en œuvre de ces projets. 

Dans l’ensemble, la recherche démontre l’importance d’adapter les programmes de formation professionnelle au contexte local, car les initiatives locales sont plus efficaces parce qu’elles suscitent l’adhésion et la bonne volonté, ce qui est essentiel pour accroître les répercussions des interventions. L’implication pertinente du personnel enseignant, des membres de la communauté, des fonctionnaires du ministère de l’Éducation, des parents et des responsables des jeunes a permis d’obtenir un certain nombre de résultats importants.  

L’établissement de partenariats avec des écoles et des centres d’EFTP en Éthiopie a facilité la formation d’enfants et de jeunes inscrits dans des programmes d’enseignement accéléré. Par exemple, le Collège polytechnique de Hawassa a négocié avec des entreprises privées (propriétaires de garages de motos) pour permettre aux stagiaires professionnels d’utiliser gratuitement des garages privés pour leur formation pratique.  

En outre, il est essentiel d’établir des partenariats étendus et pertinents avec le ministère de l’Éducation. Les gouvernements sont confrontés à des défis pour améliorer la qualité de l’éducation, la scolarisation, la rétention et l’achèvement des études. Ils sont à la recherche d’innovations susceptibles de résoudre ces problèmes. Toutefois, la mise à disposition de données probantes ne garantit pas automatiquement que les fonctionnaires les utiliseront. L’un des principaux enseignements de ce projet est que l’implication des pouvoirs publics dans la conception de la recherche, sa mise en œuvre, la validation et la diffusion des résultats offre une plus grande probabilité et de meilleures possibilités d’influencer les politiques et les pratiques. Les cadres supérieurs du gouvernement devraient être particulièrement impliqués dans la recherche afin d’augmenter la probabilité qu’elle soit utilisée à des ordres politiques supérieurs. Seuls des fonctionnaires des échelons inférieurs sont actuellement impliqués, mais une implication plus précoce des fonctionnaires nationaux aurait des répercussions plus importantes. 

Collaborer avec les parents et les personnes responsables des jeunes pour combler les lacunes en matière d’éducation est une approche efficace, mais elle nécessite du temps et des ressources. Les parents et les personnes qui s’occupent des jeunes peuvent avoir des visions différentes du monde en ce qui concerne le parcours scolaire de ces derniers, en particulier lorsque ces jeunes ne se sont jamais inscrits à l’école ou l’ont abandonnée. Toutefois, lorsque les parents et les personnes responsables des jeunes adhèrent à l’idée de la formation professionnelle et en estiment la valeur, ils peuvent apporter les ressources nécessaires à la réussite de la formation professionnelle et peuvent agir comme un amortisseur contre les facteurs d’abandon. C’est ce qui ressort des témoignages de certains jeunes interrogés lors de visites dans la région méridionale de l’Éthiopie, qui ont attribué leur décision de participer au programme de formation professionnelle aux conseils et aux encouragements reçus de leurs parents et d’autres membres de la communauté. 

La formation professionnelle pour les jeunes dont les compétences de base en lecture, écriture et calcul sont limitées n’a pas été mise à l’essai de manière importante dans la région. La mise en œuvre réussie d’un tel modèle de formation nécessite l’implication d’un large éventail de parties prenantes qui n’ont peut-être jamais travaillé ensemble auparavant. En outre, ces projets ont plus de chances de réussir si les parties prenantes possèdent les compétences et les capacités nécessaires pour les différents éléments requis pour l’ensemble de la formation professionnelle. Pour obtenir des répercussions susceptibles d’être mises à l’échelle, les interventions doivent à la fois combiner et séquencer efficacement le développement des compétences et des capacités, avec une motivation et un engagement forts et un mécanisme de coordination fonctionnel entre les parties prenantes chargées de la mise en œuvre. 

Un autre enseignement utile est la nécessité de donner la priorité au suivi, à l’apprentissage et à l’évaluation (SEA) pour documenter les résultats et les enseignements. Toutefois, cela nécessite une formation et un soutien à l’apprentissage adaptatif. Il est important de documenter les échecs et les leçons à tirer pour les projets à venir. La formation, le mentorat et le leadership sont essentiels pour créer une culture de l’apprentissage. L’organisation périodique de forums de réflexion structurés permet de saisir et de synthétiser l’apprentissage et de le mettre en œuvre pour améliorer l’offre de formation professionnelle. 

Facteurs de réussite des parcours d’enseignement professionnel 

Cette recherche a permis de tirer des enseignements importants pour l’éducation accélérée en Éthiopie. Dans l’ensemble, les politiques et les lignes directrices relatives à l’enseignement accéléré doivent prendre en compte les divers besoins des élèves et prévoir d’autres parcours d’apprentissage, comme la formation professionnelle et les programmes d’apprentissage continu, afin de soutenir leurs objectifs. Ces programmes de formation professionnelle doivent être adaptés aux contextes locaux, avec les communautés placées au cœur du processus, en étroite collaboration avec les gouvernements, les ONG et les organisations de développement. Il est essentiel de renforcer les capacités locales et d’établir rapidement des partenariats solides entre les parties prenantes, notamment les écoles primaires, les établissements de formation professionnelle, les ministères de l’Éducation et les organismes de certification, afin de maintenir et d’exploiter les progrès existants et de promouvoir des transitions harmonieuses entre les filières d’éducation. Avant de pouvoir suivre une formation professionnelle, les jeunes doivent acquérir des compétences de base en calcul et en lecture. À cet égard, le recrutement, la formation et le perfectionnement professionnel continus du personnel enseignant sont également un facteur clé pour renforcer les écoles primaires publiques, qui sont cruciales pour les jeunes qui veulent suivre une formation professionnelle. On ne saurait trop insister sur l’importance des partenariats stratégiques, des approches localisées et des politiques ciblées afin de relever les défis des jeunes non scolarisés.