Valeur de la réussite : Comment des enseignantes et des enseignants kényans motivés transforment l’enseignement de l’alphabétisation précoce

Par: Anne Wade,Philip Abrami,Christian Durand Posted: 11 avril 2023
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Source: Chepngetich Naomi, école Nkuseron Primary School

« Qu’avez-vous fait à mon enfant? » C’est en ces termes qu’une mère kényane s’est exprimée dans le cadre d’une cérémonie de remise de diplômes à des enseignants qui avaient participé à un programme de développement professionnel des enseignants (DPE) sur l’enseignement de l’alphabétisation précoce et l’utilisation d’ABRACADABRA (ABRA), un outil d’alphabétisation précoce proposé avec le logiciel Learning Toolkit (LTK)[1]. D’abord surpris par cette question, nous avons été rapidement soulagés d’apprendre pourquoi elle l’avait posée. Son fils s’était désintéressé de l’école à la suite du décès de son père et risquait d’abandonner l’école. Pourtant, après l’intégration d’ABRA dans les cours d’anglais de son fils, elle a constaté une transformation chez son enfant. Il avait envie d’aller à l’école, il enseignait l’alphabétisation en anglais à sa mère, à la maison, et il était l’un des meilleurs élèves de son groupe. Fantastique!

Que serait devenu ce jeune enfant s’il n’avait pas été initié à ce logiciel? Les statistiques sur les taux d’analphabétisme et d’abandon scolaire dans les pays du Sud sont stupéfiantes et terriblement négatives. La Banque mondiale et d’autres (2022) ont évoqué le risque grave que courent des centaines de millions d’enfants à l’échelle mondiale, et leurs sociétés, s’ils n’acquièrent pas les fondements de l’alphabétisation et d’autres compétences fondamentales.

Plus que jamais, les programmes de développement professionnel des enseignants (DPE) sur l’enseignement de l’alphabétisation précoce et l’utilisation d’ABRACADABRA (ABRA), un outil d’enseignement de l’alphabétisation précoce proposé avec le logiciel Learning Toolkit (LTK), sont essentiels si nous souhaitons inverser cette tendance inquiétante. Dans notre approche en matière de DPE, qui repose désormais sur une approche mixte[2], nous nous sommes concentrés à la fois sur les compétences et la volonté pour intégrer la technologie dans les activités quotidiennes dans les salles de classe. Nous ne nous concentrons pas seulement sur ce que l’on doit faire, mais nous nous concentrons également sur les raisons et la manière, au moyen d’un processus de DPE initial fondé par des données probantes, suivi d’un soutien continu. En ce qui concerne principalement la motivation des enseignants (l’élément « volonté »), nous avons adopté une théorie importante, bien adaptée aux défis de l’innovation pédagogique, connue sous le nom de valeur de la réussite. Selon ce modèle, les pratiques novatrices sont liées à des attentes positives en matière de réussite, à la valorisation d’expériences transformatrices et à la réduction des coûts perçus.

Les attentes sont liées à la perception qu’ont les enseignantes et les enseignants à l’égard du lien éventuel entre leur utilisation de la stratégie et les résultats souhaités, ainsi que des facteurs ayant une incidence sur ces perceptions, notamment les attributions internes (comme l’autoefficacité et les compétences de l’enseignante ou de l’enseignant) et les attributions externes (comme les caractéristiques de l’élève, l’environnement de la salle de classe et le soutien collectif).

La valeur évalue la mesure dans laquelle les enseignantes et les enseignants perçoivent l’innovation ou les résultats qui y sont associés comme valables, y compris les avantages pour l’enseignante ou l’enseignant (comme la conformité avec la philosophie pédagogique, l’avancement professionnel) et pour l’élève (comme l’amélioration des résultats, l’amélioration des attitudes).

Le coût, lié aux exigences physiques et psychologiques perçues en matière de mise en œuvre, décourage l’innovation et peut comprendre le temps de préparation de la leçon, l’effort et le matériel spécialisé. En bref, toute innovation pédagogique exige qu’une enseignante ou qu’un enseignant soit convaincu qu’il peut la mettre en œuvre avec succès, que les efforts de changement en valent la peine et que les avantages l’emportent sur les coûts.

Un exemple de réussite en matière de valeur de la réussite

L’adoption d’ABRA par une enseignante ou un enseignant peut aider à illustrer le modèle en jeu.

Nous avons rencontré pour la première fois Chepngetich Naomi, en 2016, dans le cadre d’une séance de DPE ABRA, à Kirindon, une région isolée et souvent négligée de l’ouest du Kenya. Naomi était enseignante des premières années du primaire à l’école Kimintet Primary School, qui disposait de 43 ordinateurs portables et tablettes alimentés par des panneaux solaires. À la suite de cette séance, Naomi souhaitait pouvoir utiliser ce logiciel interactif avec ses jeunes élèves, a reconnu sa valeur et a commencé à l’intégrer dans son cours d’anglais de deuxième année, avec un rapport de quatre ordinateurs pour un élève.

En peu de temps, ses collègues ont sollicité son soutien et elle est devenue ambassadrice ABRA, un titre désignant les enseignantes et aux enseignants qui agissent en tant que mentor auprès de leurs collègues.

Elle décrit ici les premières étapes de son parcours :

« J’ai participé à la première séance de formation des ambassadeurs du programme de développement régional de KIRINDON, en 2016, et j’ai reçu un certificat de participation. J’étais tellement reconnaissante. J’ai ensuite participé à la deuxième et à la troisième séance de formation en tant que personne-ressource/animatrice. Le soutien de Vision Mondiale en matière de suivi a été d’une grande valeur en ce qui concerne la mise en œuvre du logiciel LTK. La fourniture d’accessoires, notamment, a facilité mon enseignement et l’a axé sur l’apprenant. »

Au fil des ans, divers programmes nationaux ont été mis en œuvre au Kenya, comme le programme d’alphabétisation Tusome et le programme d’alphabétisation numérique (PAN), mais Naomi a continué à découvrir des moyens d’optimiser l’utilisation de l’outil dans cet environnement pédagogique dynamique.

En outre, elle a coanimé des séances de DPE, elle a encadré ses collègues par l’intermédiaire de plateformes en ligne et elle a pris la parole dans le cadre de conférences. Dans un rapport de fin d’année sur son utilisation du logiciel, Naomi parle de la valeur de l’utilisation d’ABRA :

« [Le logiciel] LTK a amélioré le rendement de ma classe en ce sens que l’absentéisme, qui était endémique, a diminué depuis l’introduction des leçons LTK – tous les élèves souhaitent y participer. De concert avec TUSOME, LTK a favorisé l’accroissement des inscriptions. Les élèves des écoles qui n’utilisent pas le logiciel LTK sont venus à notre école, Kimintet Primary, en particulier dans les classes des niveaux inférieurs. Les améliorations en matière d’acquisition de compétences en lecture, d’activité et de capacité à résoudre des problèmes ont été remarquables. Les compétences en lecture, écriture et calcul se sont améliorées dans les classes des niveaux inférieurs. »

À la suite de la pandémie de 2021, Naomi a été transférée à l’école Nkuseron Primary School, à Kajiado, une autre région isolée, mais cette fois à l’extérieur de Nairobi. Quoique l’école était équipée de dispositifs PAN, comme ils n’avaient pas été utilisés depuis longtemps, des problèmes techniques liés au serveur se sont posés. Ne se laissant pas décourager, Naomi a utilisé son téléphone personnel pour connecter les tablettes afin que ses élèves puissent accéder au logiciel. Bien que Naomi ait dû débourser de l’argent en raison des coûts de données associés à l’utilisation de son téléphone, il s’agissait de coûts négligeables, compte tenu du succès et de la valeur escomptés de l’utilisation des outils.

En 2023, un autre transfert a ramené Naomi à Kirindon, à l’école Esoit Naibor Primary School, une école voisine de l’école Kimintet Primary, où elle a continué d’utiliser ABRA. Elle écrit :

« On dirait que je suis maintenant accroc au logiciel LTK. Impossible de m’en passer en classe. D’ailleurs, j’ai été affectée sans objection à la classe de première année! Les parents, entre autres, étaient très ravis de mon retour de Kajiado et du fait que l’école se développe! Notamment en alphabétisation (langue anglaise)... Ce n’est pas un miracle! C’est le logiciel LTK que j’utilise! »

Au cours des dernières années et tout au long de la pandémie, le financement du programme Partage de connaissances et d’innovations du Partenariat mondial pour l’éducation (KIX), une initiative mixte menée avec le Centre de recherches pour le développement international du Canada, nous a permis de poursuivre et d’accroître la portée de nos travaux en nous concentrant sur les obstacles et les éléments facilitateurs en ce qui concerne la mise à l’échelle et la durabilité. De concert avec les académies Aga Khan, Vision Mondiale et l’Université Wilfrid Laurier, nous avons adapté notre formation DPE en présentiel à une approche mixte – en ligne avec un certain soutien en présentiel – dans un souci d’efficacité accrue et éprouvée. Les parents, les ONG, les organisations gouvernementales le remarquent et posent la question suivante : « Qu’avez-vous fait à nos enseignantes et enseignants? »

 

[1] Les outils interactifs du logiciel Learning Toolkit ont été élaborés à l’Université Concordia (Montréal, Québec) et sont disponibles gratuitement. ABRACADABRA et le matériel de DPE en ligne qui l’accompagne sont accessibles à l’adresse suivante : literacy.concordia.ca/index.html.

[2] Ce travail a été appuyé par le Programme Partage de connaissances et d’innovations du Partenariat mondial pour l’éducation, une entreprise conjointe avec le Centre de recherches pour le développement international (Canada).