L’éducation des filles : La clé d’un avenir meilleur pour le Soudan du Sud

Par: Gabriel Mekbib,Mabor Tur,Tasada Joseph Awad Posted: 03 octobre 2023
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Source: Institut international pour le renforcement des capacités en Afrique (IIRCA) de l’UNESCO. | Personnes participantes à l’événement Dialogue politique national du KIX.

Il y a dix ans, moins de 500 filles terminaient leurs études secondaires au Soudan du Sud. Depuis lors, le pays a fait de grands progrès en matière d’autonomisation de ses apprenantes.Cependant, des millions d’enfants ne sont toujours pas scolarisés et la qualité de l’apprentissage demeure faible – les résultats d’apprentissage des filles étant particulièrement touchés.

L’état de l’éducation des filles au Soudan du Sud

Depuis l’indépendance du pays en 2011, les politiques éducatives du pays reposent sur le principe que chaque enfant a le droit de recevoir une éducation et sont harmonisés avec les cadres internationaux comme la Stratégie continentale de l’éducation pour l’Afrique de l’Union africaine (2016-2025) et l’Objectif de développement durable (ODD) no 4 des Nations Unies.

Ces politiques bénéficient d’un soutien et d’une mobilisation politiques de haut niveau. Le gouvernement du Soudan du Sud a augmenté le budget de l’éducation de 6 % à 12,5 % en 2023, avec le président Salva Kiir qui a ordonné à tous les établissements d’enseignement d’adhérer à la politique de gratuité de l’éducation du pays. Ces stratégies ont porté leurs fruits : le nombre total d’inscriptions est passé de 1,6 million d’étudiants en 2013 à plus de 2,3 millions en 2021 (figure 1) (Rapport de recensement de l’éducation nationale). De manière prometteuse, le taux de scolarisation des filles est passé de 21 % en 2005 à 49 % en 2021, selon les chiffres du ministère de l’Éducation générale et de l’Instruction (MEGI).

 

Figure 1: Enrolment in South Sudan from 2005-2021/Source: MoGEIFigure 1 : Scolarisation au Soudan du Sud de 2005 à 2021. Source : Ministère de l’Éducation générale et de l’Instruction (MEGI).

Toutefois, des défis subsistent en termes d’accès et de qualité de l’éducation. Les décennies de conflit qui ont précédé l’indépendance du pays en 2011, combinées à la guerre civile et à la pandémie de COVID-19 qui ont suivi, ont contribué à d’immenses pertes d’apprentissage. Près des trois quarts de la population âgée de plus de 15 ans au Soudan du Sud ne savent ni lire ni écrire, et la majorité d’entre eux sont des femmes (UNESCO 2020). L’UNICEF estime que 2,8 millions d’enfants, soit plus de 70 %, ne sont pas scolarisés au Soudan du Sud, les filles constituant la majorité de la population non scolarisée.

Dialogue politique national portant sur les défis éducatifs du Soudan du Sud

En vue de remédier au faible taux de scolarisation et aux résultats d’apprentissage pour tous les enfants, et en particulier pour les filles, le ministère de l’Éducation générale et de l’Instruction (MEGI) du Soudan du Sud a organisé un dialogue politique à Juba, le 13 juin 2023, avec le bureau de l’UNESCO à Juba et l’Institut international pour le renforcement des capacités en Afrique (IIRCA) de l’UNESCO.

Figure 2: Attendees at the KIX National Policy Dialogue/Source: MoGEIFigure 2 : Personnes participantes au dialogue national sur la politique du KIX. Source : MEGI.

 

Lors du dialogue, le MEGI s’est concentré sur les stratégies visant à maintenir les filles à l’école et à augmenter le nombre de personnels enseignants qualifiés. Ces besoins reflètent les priorités du gouvernement en matière d’éducation, à savoir l’amélioration de l’accès à l’éducation et de la qualité de la formation du personnel enseignant. Plus de 50 décisionnaires politiques et parties prenantes de groupes éducatifs locaux ont participé à cet événement.

Atteindre les petites filles du Soudan du Sud

La nature de la participation au dialogue sur la politique nationale reflète les difficultés rencontrées pour atteindre les filles au Soudan du Sud, avec une participante indiquant : « Si vous regardez dans cette salle, combien de femmes et combien d’hommes sont présents? », soulignant la prédominance des hommes. La personne participante a expliqué la disparité, en indiquant que c’est « parce que nous n’avons pas été envoyées à l’école » et en décrivant comment l’éducation des filles a commencé en 1904 au Soudan alors qu’elle n’a commencé au Soudan du Sud qu’en 1947. La figure 3 illustre les disparités flagrantes de l’héritage colonial britannique en matière de niveau d’éducation au Soudan et au Soudan du Sud. Par exemple, en 1960, alors qu’il y avait 69 établissements d’enseignement pour les filles dans le Nord, il n’y en avait qu’un seul dans le Sud.

Figure 3: Level of access to education by 1960Figure 3 : Niveau d’accès à l’éducation en 1960

Alors que le gouvernement actuel tente de remédier à la négligence historique de l’éducation des filles dans le pays, il est confronté à un autre défi : atteindre les élèves du Soudan du Sud. La grande majorité des personnes du Soudan du Sud vivent dans des zones rurales et leurs moyens de subsistance dépendent des activités agricoles et pastorales. En outre, une grande partie de la population du Soudan du Sud est constituée d’éleveuses et d’éleveurs itinérants dont les déplacements font qu’il est difficile pour les enfants de ces communautés d’aller couramment à l’école. Le nombre de mariages d’enfants et de grossesses d’adolescentes est élevé, ce qui contribue également à l’abandon de l’école par les filles. Selon l’UNICEF (2021), 52 % des filles du Soudan du Sud sont mariées avant l’âge de 18 ans.

Questions relatives à la qualité de l’apprentissage

Même lorsqu’il est possible d’atteindre les élèves, les personnes participantes s’accordent à dire que la qualité de l’apprentissage doit être améliorée. Le rôle du personnel enseignant a fait l’objet d’une attention particulière. Le faible nombre de personnels enseignants qualifiés est un sujet de préoccupation. Windle International Trust, une ONG active au Soudan du Sud, estime qu’en 2021, le taux d’encadrement était de 1:77. La pénurie de personnel enseignant est exacerbée par les différents niveaux de formation professionnelle du personnel enseignant. Cinquante-trois pour cent du personnel enseignant du Soudan du Sud n’a pas reçu de formation formelle et 55 % n’ont pas reçu d’éducation formelle selon Tasada Joseph Awad, maître de conférences à l’Université de Juba. Tasada Joseph Awad a fait remarquer que même si « la plupart du personnel enseignant a été formé en arabe », ces personnes sont tenues d’enseigner dans la langue officielle d’enseignement du pays, qui est l’anglais. Cependant, de nombreux membres du personnel enseignant n’ont pas reçu la formation nécessaire pour enseigner efficacement le programme d’études et les plans de cours qui ont été élaborés en anglais. Les résultats d’apprentissage des filles sont également inférieurs à ceux des garçons. Par exemple, 83 % des garçons ont réussi aux examens dans les écoles primaires, contre 75 % des filles en 2019.

Figure 4: Tasada Joseph Awad sharing her presentation at the KIX policy dialogue/Source: UNESCO IICBAFigure 4 : Tasada Joseph Awad lors de sa présentation au dialogue politique du KIX. Source : IIRCA de l’UNESCO.

Comment enseigner aux enfants de manière plus efficace et judicieuse?

Les personnes participantes ont fait référence à des interventions qui ont donné des résultats prometteurs pour l’éducation des filles. Plusieurs initiatives ont été soulignées à maintes reprises comme améliorant les résultats d’apprentissage pour les filles en particulier les suivantes :

  • Accroître les programmes de transferts monétaires Otim Gama, Ph. D., de l’Université de Juba, a indiqué qu’un programme de transfert monétaire, qui fait partie du programme Girls’ Education South Sudan (GESS), contribuait à améliorer l’accès à l’éducation pour les élèves du Soudan du Sud. Le programme GESS se concentre sur l’amélioration des résultats scolaires des filles au moyen d’interventions comme la communication sur le changement de comportement, les subventions proportionnelles au nombre d’élèves et l’utilisation de systèmes de suivi. Le programme de transfert monétaire, en particulier, a aidé « à couvrir les coûts opérationnels des écoles… et à rendre l’éducation moins coûteuse pour les parents », comme l’explique Otim Gama, qui dirige le Département de l’éducation. Selon une analyse réalisée par CalpNetwork, les transferts monétaires ont augmenté la proportion de filles scolarisées de 4,4 % entre 2014 et 2017. 284 601 filles fréquentant l’enseignement de base et secondaire dans tout le pays ont reçu des transferts monétaires d’un montant moyen de 24 $ par an. Ces transferts étaient « légèrement assortis de conditions comme l’inscription et l’assiduité à l’école ».
     

Ces discussions portant sur les répercussions des transferts monétaires reflètent les résultats prometteurs communiqués par les personnes participantes du Soudan du Sud lors d’un webinaire du Pôle Afrique 19 du KIX intitulé Atteindre les filles en Afrique subsaharienne pendant la pandémie de COVID-19 en novembre 2021. Au cours de ce webinaire, Esther Akuma, directrice générale de l’égalité des genres et de l’inclusion au ministère de l’Éducation générale et de l’Instruction du Soudan du Sud, a expliqué comment les transferts monétaires, associés à des interventions comme l’apprentissage à distance au moyen de radios et de directives du MEGI, ont permis à de jeunes filles enceintes de retourner à l’école.

Figure 5: Breakout sessions during the dialogue/Source: UNESCO IICBAFigure 5 : Séances en petits groupes pendant le Dialogue politique national du KIX. Source : IIRCA de l’UNESCO.

  • Le personnel enseignant est au centre de l’attention. Les personnes participantes ont largement reconnu la nécessité d’investir davantage dans le personnel enseignant. Ces investissements contribueraient à améliorer la motivation du personnel enseignant, ce qui permettrait de réduire l’absentéisme et d’améliorer l’enseignement. Les initiatives visant à améliorer le perfectionnement professionnel au moyen de la formation initiale et continue doivent être soutenues par des salaires plus élevés versés régulièrement. Une personne participante a noté que le ministère de l’Éducation générale et de l’Instruction assurait la formation du personnel enseignant, mais « une fois le personnel enseignant formé, ces personnes vont dans d’autres secteurs » comme les ONG en raison d’une rémunération plus élevée et plus prévisible. En outre, une personne participante a fait remarquer que « bien que le ministère de l’Éducation générale et de l’Instruction fasse de son mieux pour augmenter les salaires du personnel enseignant », si l’on ne s’attaque pas à l’inflation, le personnel enseignant continuera d’être sous-payé.
     

En outre, les enseignantes étaient plus susceptibles d’être absentes à l’école, ce qui pourrait contribuer à réduire les résultats d’apprentissage des filles. Des données probantes ont révélé que la présence accrue d’enseignantes dans les écoles contribue à améliorer les résultats d’apprentissage des filles, en particulier dans des circonstances où les pratiques socialement conservatrices sont la norme.

Les personnes participantes au Dialogue politique national du KIX ont parlé avec passion de la nécessité d’améliorer l’éducation des filles et de tous les enfants au Soudan du Sud. Les personnes participantes, comme George Mogga, directeur général chargé de la planification et de la budgétisation au MEGI, et Cecilia Apaya, directrice générale au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Science et de la Technologie (MESST), ont souligné les nombreux défis auxquels est confronté le système éducatif du pays et ont exprimé l’espoir que des approches ambitieuses et audacieuses puissent être adoptées afin de relever ces défis. Une personne participante a plaidé en faveur d’une approche de la construction d’écoles basée sur le principe de « trois écoles pour les filles pour chaque école pour les garçons » afin de garantir que les filles aient les mêmes chances que les garçons de recevoir une éducation. D’autres initiatives ont été soulignées comme permettant de changer les choses : les programmes d’alimentation scolaire, les pratiques adéquates en matière d’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’hygiène dans les écoles, les systèmes d’éducation en alternance, y compris des programmes d’apprentissage accéléré ciblant les jeunes élèves plus âgés et les adultes.

Les discussions ont inclus un appel à l’action pour que toutes les parties prenantes collaborent à faire de l’éducation de qualité une réalité pour tous les enfants du Soudan du Sud. Le Pôle Afrique 19 du KIX continuera à travailler en étroite collaboration avec le MEGI afin de soutenir les échanges de connaissances et d’innovations dans des domaines prioritaires cernés tels que les systèmes d’information sur la gestion de l’éducation et la formation professionnelle du personnel enseignant afin d’améliorer l’inclusion et la rétention des filles à l’école. Les personnes participantes ont recommandé l’organisation d’un Dialogue politique national semblable en 2024 afin de continuer à relever les défis complexes auxquels est confronté le système éducatif du Soudan du Sud.

Figure 6: GPEKIX Focal Point Mabor Tur and UNESCO's Juba Office Wilson Wani, organizers of the policy dialogue, facilitating group discussions/Source: UNESCO IICBAFigure 6 : La personne-ressource du KIX du GPE, Mabor Tur et Wilson Wani du Bureau de l’UNESCO à Juba, organisateurs du Dialogue politique national du KIX, facilitant les discussions de groupe. Source : IIRCA de l’UNESCO.