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Pensons-nous correctement aux « données » et à « l'utilisation des données » dans l'éducation mondiale?

Ce blog a été initialement publié sur le site de la Brookings Institution le 12 juin 2025.

Par: Brad Olsen | Posted:
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Brookings Data Blog
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Shutterstock/Rawpixel.com

À l'heure actuelle, les réseaux, les bailleurs de fonds et les organisations éducatives du secteur du développement international saisissent presque toutes les occasions de réitérer leur message : l'éducation dans les pays du Sud ne s'améliorera que lorsque les pays disposeront de données suffisantes et de bonne qualité rendues accessibles au public et utilisées de manière efficace par les décideurs. Ainsi, dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire (PFR-PRI), les systèmes d'information sur la gestion de l'éducation ont proliféré. Le terme « prise de décision fondée sur des données probantes » est omniprésent. Et les innovations comme les tableaux de bord ou les bases de données consultables qui organisent les données existantes aux fins de commodité sont généralisées. Nous vivons dans une époque façonnée par les données. 

D'une part, c'est une bonne chose. En l'absence de données précises et opportunes sur l'éducation (de quelque nature que ce soit), les pédagogues et la classe politique – qu'il s'agisse du personnel enseignant, des directions d'écoles, des fonctionnaires de rang intermédiaire, des organisations non gouvernementales ou des décisionnaires des gouvernements centraux – se fient trop à l'expérience, à l'instinct, aux calculs politiques et aux points de vue morcelés de l'éducation pour prendre des décisions importantes. C'est ainsi que le passé se répète. Par ailleurs, il est impossible d'évaluer les écoles de manière efficace ou équitable sans une collecte et une utilisation minutieuses des données. Les données de bonne qualité sont un élément clé de l'amélioration de l'éducation. 

Pourtant, d'autre part, d'importants obstacles, la complexité et l'exagération, atténuent à la fois l'exactitude et la force de cette recommandation courante. Ce qui constitue une donnée ou une bonne source de données est contesté. Les cultures qui, au cours de leur histoire, n'ont jamais utilisé la recherche ni les données sur l'éducation (au sens moderne du Nord) ne souhaitent pas toujours changer. Selon les critiques, le paradigme de la réforme technico-rationnelle éclairé par des données quantitatives est un legs du colonialisme. Les décisions gouvernementales en matière d'éducation sont souvent fondées sur l'opportunisme politique autant que sur des données probantes (voire plus). Et il y a des raisons pragmatiques, bien qu'elles ne soient pas privilégiées, pour lesquelles les personnes qui sont au pouvoir peuvent s'efforcer de contourner la transparence et l'attention découlant souvent de l'utilisation accrue des données. 

Que faire de cette incohérence? 

Les résultats à venir de notre étude ROSIE en cours sur le rôle de la gouvernance et du soutien au niveau intermédiaire (inférieur au gouvernement central, mais au-dessus des écoles individuelles) dans le domaine de l'éducation pour accroître l'innovation examineront les promesses, les réalités et les améliorations éventuelles en matière d'utilisation des données. Restez à l'affût, car nous publierons bientôt cette recherche dans différents formats. Toutefois, entre-temps, voici quatre nouvelles suggestions. 

1. Les organisations du Nord qui travaillent avec les PFR-PRI peuvent élargir leur définition des « données ». 

Depuis longtemps, les économistes dominent la recherche moderne sur le développement de l'éducation. Ces personnes ont un rôle à jouer; toutefois, il est temps d'intégrer un nombre accru de conceptions de recherches qualitatives, participatives et novatrices qui valorisent les récits, les points de vue des parties prenantes, les activités, les modes de connaissance autochtones (même les rêves et les odeurs, comme nous le rappelle Elizabeth St. Pierre). Lorsque les membres de la collectivité et les personnes extérieures collaborent pour créer des systèmes de recherche et de données fondés sur une base commune et intégrée d'épistémologies locales et technico-rationnelles, nous pouvons produire des pratiques en matière de données meilleures et mieux adaptées au lieu et renforcer l'utilisation des données de manière organique pour avoir une incidence à long terme. Dans le domaine de l'éducation, il est toujours préférable, bien que plus difficile, de susciter la mobilisation à l'échelle locale que d'imposer le contrôle. 

2. Les personnes qui font pression pour une collecte et une utilisation accrues des données peuvent intégrer leurs innovations et leurs objectifs aux pratiques décisionnelles et aux modes de connaissance existants. 

Les bailleurs de fonds externes et les organisations éducatives peuvent faire preuve de respect à l'égard des modes de connaissance traditionnels tout en soulignant les biais cognitifs et les faiblesses des preuves anecdotiques ou des théories populaires. Dans ce contexte, si on fait preuve d'humilité, de curiosité et de collaboration éthique, les personnes extérieures peuvent stimuler une transformation cognitive au sein des lieux et accroître la demande en matière d'utilisation de faits, de statistiques et de résultats reproductibles en éducation, puis tirer parti de la demande pour renforcer le soutien et la mobilisation à l'égard de l'utilisation des données. Toutefois, le volet « collaboratif » signifie que les groupes externes doivent eux-mêmes être réceptifs au changement. Il est essentiel de prendre au sérieux la valeur des récits, des connaissances personnelles et des épistémologies d'autres cultures. Chaque camp peut enseigner quelque chose à l'autre. 

Concrètement, les personnes qui font la promotion de l'utilisation des données pourraient délaisser certaines de leurs injonctions rigides, de leurs pratiques inopportunes et de leurs tentatives d'imposer un changement de comportement sur le terrain pour plutôt rattacher leurs versions de l'utilisation des données de manière plus morcelée et plus douce aux pratiques existantes, de sorte qu'il en découle des pratiques hybrides et axées sur les données, fondées sur des méthodes locales de saisir les pratiques et de prendre des décisions en matière d'éducation. Ainsi, une culture plus systématique et moins subjective en matière d'utilisation des données peut s'enraciner et croître de « manière complémentaire et additive », comme me l'a dit Yue-Yi Hwa récemment, non comme une solution de rechange universelle. 

3. Nous pouvons combiner une meilleure utilisation des données avec un soutien plus vaste des systèmes. 

Nous voyons ici au moins trois approches prometteuses : fournir un perfectionnement professionnel efficace aux parties prenantes de l'éducation de niveau intermédiaire, aux directions d'écoles et aux gouvernements locaux; accroître l'autonomie décisionnelle des responsables locaux et municipaux de l'éducation; et inciter les gouvernements et les écoles à faire preuve de franchise à l'égard de leurs lacunes. Notre étude en cours sur le niveau intermédiaire dans les PFR-PRI révèle qu'il s'agit d'un niveau systémique capable d'améliorer les fonctionnalités de façon exponentielle si les agentes et agents d'éducation, les responsables pédagogiques et le personnel de soutien reçoivent une formation professionnelle approfondie et adaptée à leurs rôles, ont des pouvoirs accrus en matière de prise de décisions réelles et ne se sentent pas qu'ils doivent simplement surveiller les écoles et garantir une conformité pro forma. 

L'accroissement parallèle de la valorisation des données et de l'aisance à l'égard de l'utilisation des données (non simplement la concentration sur plus de données ou des systèmes de données accessibles) au niveau déterminant du système intermédiaire peut accroître la capacité de ces parties prenantes, qui sont particulièrement bien placées pour connaître les réalités locales des collectivités et du personnel enseignant puisqu’elles les observent dans les écoles, les municipalités et les villages, à concrétiser leur capacité d'améliorer l'éducation. 

4. Nous pouvons faire preuve d'honnêteté concernant les limites de l'utilisation des données pour améliorer l'éducation. 

Parfois, on peut avoir l'impression que la communauté des bailleurs de fonds se concentre davantage sur les processus d'utilisation des données que sur la manière dont l'utilisation des données ajoutera une valeur précise et pragmatique. Par conséquent, le fait d'encourager ces organisations éducatives externes à remettre en question les raisons et les manières dont elles intègrent des systèmes de données dans les pays, et à envisager d'autres manières de poursuivre ces travaux, devrait permettre de recenser les pratiques moins utiles devant être écartées et trouver de meilleures manières de faire progresser leurs efforts. 

Par ailleurs, comme dans tant de volets de la vie, l'excès de bonnes choses peut être nuisible. Les pays à revenu élevé ont déjà été victimes des répercussions négatives de l'approche monolithique des données. Il s'agit notamment de systèmes de reddition de comptes fondés sur des données qui recensent les écoles défaillantes, sans favoriser leur amélioration; l'utilisation excessive des données qui favorise la manipulation des données, les mesures trop punitives et la méfiance du personnel enseignant; et la culpabilisation généralisée ou la mentalité du manque. 

En outre, il faut reconnaître que l'utilisation des données n'est qu'un outil parmi d'autres au sein d'un répertoire complexe de prise de décisions, de responsabilisation et d'amélioration de l'éducation. La politique électorale jouera toujours un rôle. Les enjeux philosophiques concernant les objectifs de l'éducation sont importants. Des coalitions décisionnelles diversifiées collaborant avec les décisionnaires (y compris des points de vue internes-externes) et un leadership robuste sont des ingrédients déterminants d'un système décisionnel sain en matière d'éducation. 

Enfin, si la communauté mondiale de l'éducation surestime l'utilisation des données en tant que panacée et que son approche n'améliore pas considérablement l'éducation dans les lieux concernés, alors elle risque de perdre la confiance et de la crédibilité aux yeux des personnes qu'elle est censée servir. 

Nous souhaitons connaître votre point de vue sur ce sujet et connaître vos exemples d'efforts réussis ou prometteurs visant à intégrer l'utilisation des données aux historiques, aux systèmes et aux processus décisionnels existants au sein des systèmes d'éducation des PFR-PRI. Faites-nous savoir si nos idées trouvent un écho dans votre travail! 


L'auteur tient à remercier Minahil Asim et Yue-Yi Hwa pour l'avoir aidé à réfléchir à certaines parties de ce document.