Le pouvoir des erreurs : 10 leçons pour tirer parti de l’apprentissage dans la mise à l’échelle

Posted: 17 février 2023
Par Brad Olsen et Muhannad Jarrah. Ce blogue a été publié initialement sur le site Web de l'institution Brookings, le 13 février 2023. 
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Source: GPE/Maxime Fossat

« L’erreur est humaine », a écrit Alexander Pope. « Le succès n’est pas définitif, l’échec n’est pas fatal : c’est le courage de continuer qui compte », proclamait Churchill. Un proverbe africain annonce que « Seules les personnes qui ne font rien ne font jamais d’erreurs ».

Nous savons que, dans de nombreux cas, le sens de ces adages est vrai, non seulement dans la vie, mais aussi pour la mise à l’échelle des innovations éducatives en vue de répercussions durables. Pourtant, pour des raisons organisationnelles et culturelles, les contextes de développement mondial dissuadent de parler ouvertement de nos erreurs en matière de mises à l’échelle alors que le travail est encore en cours. À l’instar d’autres professions (comme la médecine, la gouvernance et la direction de l’éducation), nous, dans le domaine de la mise à l’échelle, hésitons à exprimer aux autres les erreurs que nous commettons en tant que personnes ou équipes.

Nous nous concentrons plutôt sur les « défis », car il est plus sécurisant de discuter de difficultés d’origine externe. Nous employons la voix passive – « des erreurs ont été commises » – pour nous distancier de ce qui a mal tourné. Nos systèmes de suivi, d’évaluation et d’apprentissage (SEA) favorisent souvent le « S » et le « E », mais rétrogradent le « A ». Et lorsque nous faisons part des « leçons apprises », nous les détachons généralement des erreurs qui les ont engendrées en premier lieu.

DE NOMBREUX CONTEXTES DÉCOURAGENT LA MISE EN COMMUN FRANCHE DES ERREURS

Nous sommes réticents à admettre nos erreurs parce que nous ne voulons pas être perçus comme des personnes incompétentes – ou parce que nous ne voulons pas perdre notre emploi, notre financement ou notre légitimité. Nous sommes peu enclins à admettre nos erreurs parce que la société nous a imposé le syndrome de la personne imposteure, nous pousse à adopter une mentalité rigide, et fait peser sur de nombreuses personnes la menace des stéréotypes.

C’est dommage, car cela fait disparaître les mécanismes efficaces d’amélioration : des processus comme les essais et les erreurs, l’expérimentation et les corrections honnêtes. Lorsque ces techniques d’apprentissage éprouvées sont reléguées dans l’ombre, la mise à l’échelle en pâtit. Comme l’a écrit Adam Grant, « Plus il est difficile d’exprimer les problèmes, plus il devient difficile de les résoudre ».

Michael Fullan définit la mise à l’échelle comme « apprendre en faisant ». John List écrit qu’il faut couramment se demander s’il est temps de s’adapter ou de réduire son innovation, ou si l’on n’est pas la bonne personne pour le faire. La littérature scientifique portant sur la mise à l’échelle nous répète sans cesse ces choses et pourtant, lorsque les conséquences sont dangereuses, il devient irrationnel d’agir ainsi.

Nous devrions faire davantage pour créer des espaces professionnels où nous pouvons faire part et apprendre de nos erreurs sans perdre sa réputation. Sur le plan personnel, le fait de faire part d’erreurs relatives à la mise à l’échelle que nous commettons nous libère du carcan déconcertant du perfectionnisme. Du point de vue de l’apprentissage, cela nous permet d’analyser ce qui n’a pas fonctionné et d’apprendre quelque chose de nouveau. Sur le plan organisationnel, cela souligne le fait que l’innovation consiste toujours à ériger le progrès à partir des tessons de nos erreurs collectives. Et du point de vue de la mise à l’échelle, cela rend visible ce qui est parfois caché : la mise à l’échelle est une science imparfaite qui s’accomplit souvent par essais et erreurs.

Nous savons que rien de tout cela n’est aussi simple qu’il n’y paraît. Qui peut faire part de ses erreurs à qui, et ce, dans quel contexte est intimement lié au pouvoir, aux hiérarchies et à la mesure dans laquelle les personnes qui écoutent sont solidaires. L’obligation de rendre des comptes est un élément nécessaire, mais indissociable de tout système de contrôle de la qualité (mais elle peut souvent être améliorée par un examen critique et un ajustement raisonnable).

CONFÉRENCES SUR LA MORBIDITÉ ET LA MORTALITÉ

La profession médicale utilise les « conférences sur la morbidité et la mortalité » comme un espace protégé où les pairs se réunissent pour analyser les cas qui ont mal tourné. En soumettant les erreurs à un examen solidaire, plutôt qu’à des reproches et à des sanctions, les professionnels de la santé peuvent déterminer des schémas d’erreurs, tirer des enseignements des erreurs des autres et modifier leurs pratiques et leur jugement clinique afin de réduire la probabilité que ces erreurs se reproduisent ailleurs ou à nouveau.

La mise à l’échelle pourrait utiliser un tel espace. Dans le cadre de notre projet ROSIE, nous avons récemment organisé un atelier virtuel afin d’expérimenter un tel espace. Nous avons d’abord présenté les raisons culturelles et psychologiques pour lesquelles il est découragé de parler de ses erreurs, ainsi que les soutiens et les protections qui doivent être mis en place pour créer un espace de confiance dans le travail de cadrage. Nous l’avons fait non seulement pour créer une sécurité psychologique pour l’atelier lui-même, mais aussi pour modéliser ce comportement afin que les équipes d’évaluation puissent créer une confiance semblable dans leurs propres contextes.

En petits groupes, nous avons discuté des erreurs que nous avons commises dans notre travail d’évaluation et de recherche et des erreurs que nous avons vu les autres commettre. L’atelier a permis de renforcer la communauté d’apprentissage, d’élaborer en collaboration plusieurs idées sur la manière de tirer parti des erreurs pour l’apprentissage individuel et collectif, et de dresser une liste d’enseignements réels.

QUELQUES LEÇONS DE MISE À L’ÉCHELLE TIRÉES DES ERREURS COMMISES

  1. Pendant la phase initiale de proposition du projet de mise à l’échelle, effectuez une analyse rigoureuse du système plus large dans lequel vous allez réaliser la mise à l’échelle.
  2. Ne négligez pas les conversations d’introduction et de mise à l’échelle fondamentales avec les membres de l’équipe et les parties prenantes. Par exemple, définissez collectivement les termes « mise à l’échelle » et « durabilité ».
  3. Déterminez vos hypothèses non vérifiées à l’égard des pratiques, des convictions et des cultures des autres et veillez à voir les choses du point de vue de vos personnes participantes, et pas seulement à travers votre propre perspective. Souvent, ce sont les hypothèses erronées sur ce qui se trouve en dehors de votre modèle qui compliquent la mise à l’échelle.
  4. Le surmenage a des conséquences : lorsque chaque personne travaille à la limite de ses capacités, il est difficile de remarquer les erreurs, d’en tirer des leçons ou de faire preuve de patience lorsque les autres en commettent.
  5. Vous avez besoin de voies de communication personnelles avec les décisionnaires de haut niveau, en plus des voies de communication formelles.
  6. Il est préférable d’aller lentement lorsque l’on s’inquiète de la politique électorale ou du renouvellement du gouvernement, afin de permettre un processus de planification plus sûr ou plus stable avec le gouvernement.
  7. Ayez toujours un plan B.
  8. Parler des erreurs avec les bailleurs de fonds dépend du bailleur de fonds. Certains bailleurs de fonds ont des attentes irréalistes, d’autres ont envie de discuter.
  9. Si les leaders (et les bailleurs de fonds) modélisent ce processus en faisant part de leurs propres erreurs, il devient plus facile pour le reste d’entre nous de suivre le mouvement.
  10. Mettez à l’ordre du jour des réunions d’équipe récurrentes un point demandant : « Quelles sont les erreurs que nous avons remarquées récemment et comment pouvons-nous les aborder et en tirer des leçons? »

Si la communauté élargie de la mise à l’échelle de l’éducation – y compris les bailleurs de fonds, les universités et les organismes de développement – peut établir des espaces productifs et de confiance pour échanger à propos de nos erreurs relatives à la mise à l’échelle et apprendre d’elles, alors nous pouvons encourager un apprentissage authentique et collaboratif par les pairs, améliorer la dimension d’essai-erreur de la mise à l’échelle et offrir des contributions convaincantes à la base de connaissances. Un tel changement de culture devrait encourager le type de changement de mentalité qui transforme les faux pas en progrès.

Remarque : Ce projet est soutenu par le Programme Partage de connaissances et d’innovations (KIX), un partenariat conjoint entre le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) et le Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Les opinions exprimées ne représentent pas nécessairement celles du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE), du CRDI ou de son Conseil des gouverneurs.

La Brookings Institution s’engage à assurer la qualité, l’indépendance et les retombées positives de tous ses travaux. Les activités soutenues par ses bailleurs de fonds reflètent cet engagement et l’analyse et les recommandations sont uniquement déterminées par l’universitaire.