De l’engagement à l’action : Faire progresser l’utilisation de l’IA en éducation en Afrique grâce à la collaboration régionale et au partage des connaissances
« L’éducation numérique et l’intelligence artificielle sont des leviers clés pour transformer nos systèmes éducatifs. Unissons nos efforts pour faire face ensemble à ce tournant décisif » – M. Moustapha Mamba Guirassy, ancien ministre de la Communication, des Télécommunications et des TIC, S.E., Sénégal

Les progrès récents de l’intelligence artificielle (IA), comme l’IA générative et l’apprentissage approfondi, ont non seulement considérablement augmenté la puissance et la portée des applications qui font appel à l’IA, mais les ont également rendues plus facilement accessibles au commun des mortels. Peut-être l’exemple le plus célèbre de cela est l’outil ChatGPT. Sa sortie en 2022 a suscité une vague d’intérêt parmi les médias, les investisseurs (en anglais), les décisionnaires et le grand public, alors que les applications potentielles (et les risques) de l’IA dans la vie quotidienne, y compris l’éducation, ont commencé à émerger.
Il est donc approprié que le thème de la Journée internationale de l’éducation de 2025, célébrée chaque année le 24 janvier, soit « L’IA et l’éducation : préserver l’autonomie dans un monde automatisé ». Cette journée souligne le besoin critique de réfléchir à l’utilisation et à l’application de l’IA en éducation, de recueillir plus de données probantes et d’accroître l’échange de connaissances sur la façon dont l’éducation peut équiper les communautés et les personnes, y compris le personnel enseignant et les élèves, pour mobiliser efficacement les technologies qui font appel à l’IA et façonner ainsi l’avenir de l’automatisation.
Les avantages et les risques inhérents à l’utilisation de l’IA en éducation
L’IA a le potentiel de relever certains des plus grands défis de l’éducation. Selon la publication de l’UNESCO intitulée IA et éducation : guide pour les décideurs politiques, les applications potentielles de l’IA en éducation peuvent être classées en quatre catégories : (i) gestion et prestation de l’éducation; (ii) l’apprentissage tout au long de la vie; (iii) le renforcement de l’enseignement; (iv) l’apprentissage et l’évaluation. Par exemple, l’IA peut aider à soutenir l’éducation individualisée et l’inclusion des élèves en situation de handicap, l’accès à l’apprentissage dans la langue maternelle des élèves, l’élaboration et l’apprentissage des programmes d’études et les tâches administratives comme l’établissement des horaires.
Cependant, l’application de l’IA dans des contextes éducatifs introduit aussi une variété de risques. L’IA peut renforcer les inégalités et les préjugés structurels, exacerber le fossé numérique, perpétuer les déséquilibres et les iniquités entre les genres, créer des préoccupations en matière de protection de la vie privée – en particulier pour les mineurs – et introduire d’autres risques inconnus et conséquences imprévues dans les systèmes d’éducation.
La récente Stratégie continentale sur l’intelligence artificielle de l’Union africaine reconnaît à la fois le potentiel de l’IA en matière d’éducation et les risques et préoccupations associés. La stratégie détermine l’éducation comme l’un des secteurs prioritaires pour l’expansion de l’IA, mais elle appelle également à un besoin de plus de connaissances portant sur les cas d’utilisation, les politiques et les référentiels de compétences en éducation et à une plus grande mutualisation de pratiques fondées sur des données probantes qui sont couronnées de succès. L’apprentissage entre les pays pairs et le partage des expériences d’applications des technologies en éducation fondées sur des données probantes, et plus particulièrement de celles faisant appel à l’IA, constitue l’une des priorités régionales déterminées par les pays africains francophones membres du Pôle Afrique 21, du programme Partage de connaissances et d’innovations (KIX) du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE).
L’IA responsable et inclusive : Qu’est-ce que c’est et quels sont les exemples concrets fondés sur des données probantes de son application en éducation en Afrique?
L’IA responsable et inclusive consiste à concevoir, élaborer et déployer des systèmes d’IA sûrs, équitables, fondés sur les droits et durables. Cette pratique s’harmonise aux informations présentées dans divers documents publiés par l’UNESCO : Orientations pour l’intelligence artificielle générative dans l’éducation et la recherche (2023); Recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle (2021); Consensus de Beijing sur l’intelligence artificielle (2019).
Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada soutient à la fois les innovations responsables en IA axées sur la demande et mis à oeuvre par des organisations basées dans les pays du Sud et l’échange de connaissances grâce à une variété de programmes, dont l’Intelligence artificielle pour le développement (AI4D) et le GPE KIX.
Par exemple, l’initiative AI4D a permis de soutenir l’utilisation de technologies d’assistance qui font appel à l’IA pour les élèves ayant un handicap physique. L’une de ces technologies est un outil élaboré par l’Université Maseno, au Kenya, qui traduit entre l’anglais et la langue des signes kenyane pour faciliter la communication entre les élèves sourds et leurs pairs et personnel enseignant. Cet outil a été élaboré en collaboration avec les communautés sourdes afin d’améliorer l’inclusion des élèves sourds dans les écoles où la plupart des élèves n’étaient pas sourds. Plusieurs autres projets appuyés tirent profit de la traduction automatique et des technologies de synthèse vocale afin de rendre le contenu éducatif en anglais, en français et dans les langues locales plus accessible aux élèves neurodivergents et à celles et ceux ayant une déficience visuelle.
RobotsMali (en anglais), un organisme éducatif à but non lucratif soutenu par le CRDI au Mali, a utilisé une combinaison de ChatGPT, de traduction automatique et d’éditeurs humains pour produire plus de 180 livres pour enfants culturellement pertinents en moins d’un an en bambara, une langue malienne locale. L’organisme estime que ses coûts de production étaient une fraction de ce qu’ils auraient été si elle avait utilisé d’autres méthodes pour créer les livres. Ce projet a eu des répercussions importantes, car de nombreuses personnes au Mali parlent bambara, mais très peu peuvent le lire ou l’écrire, en partie en raison d’un manque de matériel éducatif. Les livres produits par l’initiative RobotsMali constituent une première étape dans la promotion de l’alphabétisation en bambara et la préservation de la langue traditionnelle.
De même, le projet du GPE KIX, La Formation des Enseignants en Sciences, Technologies, Ingénérie et Mathématiques (STIMS) et l’Enseignement Destiné aux Élèves du Primaire (STEPS), a combiné les ressources éducatives libres et l'IA dans le développement de manuels de sciences de haute qualité et culturellement pertinents pour l'école primaire au Bénin, au Cameroun et en République démocratique du Congo (RDC). Les outils d'IA ont aidé à rédiger le contenu initial en fonction des exigences des programmes scolaires de chaque pays, ont suggéré des exemples culturellement pertinents et ont contribué à la traduction et à la localisation du matériel.
Ces innovations offrent des exemples concrets d’utilisation responsable et inclusive de l’IA en éducation en Afrique, dirigées par des organisations basées dans les pays du Sud qui font des choix responsables pour la réalisation des objectifs de développement durable. Cependant, si nous voulons réaliser le véritable potentiel des innovations éducatives en vue de soutenir l’apprentissage des élèves, nous devons également travailler à soutenir la mise en œuvre directe d’outils qui font appel à l’IA dans les systèmes éducatifs.
Passer de l’innovation à la mise en œuvre dans les systèmes éducatifs : préparer les élèves et le personnel enseignant à mobiliser efficacement les technologies qui font appel à l’IA
Les efforts récents se sont concentrés sur l’étape essentielle de sensibilisation des décisionnaires et des responsables des politiques sur les risques et les avantages potentiels de l’utilisation de l’IA. Par exemple, l’organisme NIYEL, soutenu par l’initiative AI4D, mène un important travail de plaidoyer auprès des gouvernements d’Afrique francophone depuis la mi-2022 pour approfondir la compréhension des parlementaires de l’IA et promouvoir des politiques d’IA responsables. La Stratégie continentale sur l’intelligence artificielle de l’Union africaine reconnaît que, si l’IA doit être largement adoptée en éducation en Afrique, il est essentiel non seulement de formuler des politiques ou des stratégies nationales inclusives relatives à l’IA, mais aussi d’aider les États membres à développer les compétences nationales en matière d’IA pour le personnel enseignant et les élèves et d’investir dans des initiatives de renforcement des capacités dans les technologies qui font appel à l’IA.
En octobre 2024, dans le cadre de leur travail visant à faciliter l’échange et la mobilisation des connaissances, ainsi que l’apprentissage et la collaboration régionale entre les principales parties prenantes nationales de l’éducation, le Pôle Afrique 21 du GPE KIX et l’UNESCO ont coorganisé un séminaire portant sur les compétences numériques et l’IA pour le personnel enseignant et les élèves (en anglais) au Sénégal. L’événement a fait suite au lancement de IA et éducation : guide pour les décideurs politiques, lors de la Semaine de l’apprentissage numérique, en septembre 2024.
Les ministres de l’Éducation et des personnes représentantes de quelque 25 pays africains francophones et lusophones ont participé à ce séminaire de deux jours, dont l’objectif était de faciliter le dialogue multipartite sur les compétences numériques et d’IA et d’encourager les pays à s’engager dans le développement de ces compétences. L’événement s’est appuyé sur le Référenciel de compétences en IA pour élèves de l’UNESCO et sur le Référenciel de compétences en IA pour enseignants, qui visent à donner à ces parties prenantes les moyens d’utiliser l’IA de manière responsable et réfléchie et de veiller à ce que l’IA contribue positivement à la société et à l’environnement.
Des études de cas de pays africains, dont le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Cameroun, ainsi que les pratiques exemplaires en matière d’éducation numérique et d’IA ont été échangées. Le professeur Mamadou Kaba Traoré, directeur adjoint du Laboratoire de l’intégration du matériau au système, à l’Université de Bordeaux, a animé des ateliers conçus pour aider les personnes représentantes des pays à réfléchir et à élaborer des référentiels de compétences en IA adaptés à leurs contextes nationaux. Le professeur Traoré explique que « les référentiels de compétences constituent des outils très pertinents pour dresser un répertoire des compétences requises sur la base desquelles des stratégies éducatives peuvent être conçues, et pour évaluer les forces et les besoins afin de définir les initiatives de formation requises. Cependant, il n’est pas simple de cerner correctement ces compétences, ainsi que de structurer un processus rationnel pour la mise en œuvre des systèmes de référence de leur conception à leur opérationnalisation dans les programmes de formation. »
Engagement à soutenir les innovations responsables en matière d’IA et l’intégration dans les systèmes éducatifs
Au cours du séminaire, les personnes représentantes des pays se sont fermement engagées à relever les défis associés au développement et à l’opérationnalisation des référentiels nationaux de compétences en IA, en mettant l’accent sur la collaboration et la synergie entre les pays.
Selon le Professeur Traoré, « ce qui reste à faire, c’est une harmonisation pédagogique, en particulier en faisant correspondre les compétences déterminées lors des ateliers avec les leviers proposés, ainsi qu’en établissant des priorités et en séquençant les actions à mener dans le temps ».
En réponse à l’engagement déclaré des pays, le CRDI continuera, dans le cadre de l’AI4D et du GPE KIX, à faciliter l’élaboration de politiques et d’innovations responsables en matière d’éducation à l’IA en Afrique et à faciliter l’échange de connaissances. Compte tenu du niveau d’engagement manifesté par les personnes représentantes des pays qui ont assisté au séminaire, le Pôle Afrique 21 du GPE KIX a indiqué qu’à partir de 2025, les initiatives futures mettraient l’accent sur l’intégration de l’IA dans les systèmes éducatifs des pays concernés.